Lorsque l’image d’un nu féminin se donne, avec une parfaite netteté, à travers la matière et la forme d’un crucifix, nous sommes face à une alternative. Ce qui, dans un tout autre contexte pourrait être une provocation est ici révélation de la possibilité d’un regard différent sur le corps de la femme. La rencontre avec les images de Paul FAVAUDON est un événement : celui de l’invitation à une clarification du regard, à une purification des yeux. Une joie accompagne cet itinéraire, joie de voir confirmé qu’en effet la nudité n’est pas seulement misère, mais qu’elle est ou peut être aussi gloire, splendeur. Qu’un regard pur sur elle est possible, que l’obscurité, le mystère et l’ombre dont est porteur le corps humain et, tout particulièrement, pour l’homme, le corps féminin, peuvent, sans pour autant être déniés, se marier à l’éclat de la lumière ; aussi bien à celle, étincelante, de la surface d’une eau ruisselante qu’à celle, plus discrète, de la lune et des étoiles.
« La lampe du corps, c’est l’œil », dit l’Evangile. Si donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera dans la lumière ». On a assez reproché au christianisme de repousser la chair ou d’idéaliser le féminin. Paul FAVAUDON offre ici le magnifique témoignage du contraire, nous donnant à voir combien un regard accueillant au mystère chrétien, formé de l’intérieur par la foi en la création, l’incarnation et la passion – résurrection peut saisir l’intime unité du corps et du cosmos, de la personne et du monde. Quelle inspiration n’est-elle pas requise pour marier ainsi les cris de la chair et les nœuds du bois, les cheveux d’une jeune fille et le reflux de l’eau sur le sable, la profusion d’un pré fleuri et le don du sein maternel ! Que la courbe d’une épaule ou d’une hanche épouse si bien celle d’une voûte gothique ou d’une coupole romane, que la lumière du sommet du ciel s’incurve dans l’obscurité du nombril tient du miracle, tout en rejoignant l’une des grandes intuitions de la poésie de tous les temps. Intuition d’une unité fondamentale du réel, non au sein d’un tout indifférencié et absorbant mais sur fond d’une alliance universelle, d’une harmonie qui s’apparente à celle de l’amour.
A plusieurs reprises, le lecteur de la Bible pensera au Cantique des Cantiques. « Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes ; tes joues, des moitiés de grenade derrière ton voile ; ton cou, la tour de David, bâtie en forteresse… J’entre dans mon jardin, ma sœur, ma fiancée ; je récolte ma myrrhe et mon baume ; je mange mon miel et mon rayon ; je bois mon vin et mon lait… » Comme dans le « chant des chants », c’est un époux qui s’exprime ici. La beauté du corps féminin, il l’a reçue et la reçoit d’abord par l’intermédiaire, par la médiation privilégiée du corps de celle avec laquelle il a fait alliance. Mais cette incarnation n’est pas un repli : elle ouvre sur l’universel. Elle est seuil, passage vers la beauté du corps de toute femme et, plus vaste encore, vers celle du cosmos tout entier. Le corps y devient paysage et les paysages y deviennent corps. Le feu, les galets, l’écume des vagues, la rosée sur une toile d’araignée mais aussi les tissus, les fresques, l’architecture et jusqu’à la ferraille sont convoqués à cette célébration où le multiple et l’un s’appellent mutuellement.
La parole n’est pas étrangère à tout cela. Les noces du corps et de la nature ne sont pas le fruit du hasard ou d’un destin aveugle. Sans être d’aucune manière assujettie au concept, la perception sensible, qui demeure libre et souveraine, est néanmoins guidée par une autre lumière que celle du soleil ou de l’électricité : par celle, discrète, de ces invocations qui, comme des étoiles, scintillent dans notre mémoire : Rose mystique, porte du ciel, étoile du matin, santé des malades, perle de pureté, lumière de liberté, reine des anges… Venues d’un passé lointain, de l’enfance pour certains, plus ou moins refoulées par la culture régnante, ces invocations transforment la convocation en vocation, c’est-à-dire en appel. Une voix plane sur tout cela. Un nom se dessine en pointillés sur l’ensemble de ces images qui sont ainsi mises en relation avec une altérité. N’est-ce pas celle qui, en dernier ressort, donne son unité à l’œuvre et, ultimement, au monde ? En recevant ces images, nous avons l’intuition que nous ne sommes pas, selon l’expression de certains philosophes de notre siècle, « jetés dans le monde » mais, au contraire, accueillis par celui-ci, portés par lui ou en lui comme par une mère. Que le féminin est une des clés de l’être.